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Commentaire | La partition préférée de Ghannouchi

Le paysage politique, tel qu’il est revendiqué aujourd’hui par certains acteurs,  a, de toute évidence, perdu une grande partie de son âme et beaucoup de son innocence. Dans un monde où les vrais dirigeants sont devenus minoritaires, les plus honnêtes aussi, on assiste à une dégringolade continue des valeurs et des principes. C’est certainement cela qu’on doit appeler l’impertinence dans sa version de tous les jours, de tous les maux. Tout ce qu’il y a de plus détestable dans la politique. Dans la vie tout court. Ce n’est point une question de noms, ni d’âge. Ou encore moins de parcours. On sait bien qu’il y a de bons et de mauvais hommes politiques. Mais la prolifération de ces derniers a renversé la donne. Il semble même que la présence de certains soit de nature à compliquer le travail des autres, pour ne pas dire qu’elle n’est plus vraiment souhaitée. Tout est malheureusement une question extrasportive.

Au fait, il n’y a plus, ou presque, d’action politique apaisante. Encore moins consolante. Il ne faut pas, bien entendu, généraliser ce constat amer, mais cela ne nous empêche pas d’en prendre de plus en plus conscience.

Le réflexe acquis ces derniers temps, mais toujours privé de discernement, et surtout de bon sens, Rached Ghannouchi appelle, dans une interview accordée à sa chaîne favorite «Al Jazira», le Président de la République à céder le pouvoir, qualifiant de honteux «le fait qu’il utilise le sang de Belaïd et Brahmi pour légitimer le coup d’État» et affirmant que «Saïed détruit l’image de la Tunisie vis-à-vis de l’étranger, chose qui explique l’isolement du pays sur la scène internationale». Il considère aussi le Chef de l’Etat comme étant «le  symbole de l’échec de la gestion politique, économique et sociale du pays».

Sauf que la tactique est plutôt classique. Il essaie par tous les moyens de faire passer le Président de la République comme défaillant. Pareil discours montre, encore une fois, à quel point le monde politique  peut être cruel, dépourvu de discernement et seulement dicté par des enjeux extrapolitiques. Ghannouchi tergiverse. Il fait monter les enchères. Il patauge et se perd dans des circuits de plus en plus difficiles à délimiter. Il n’est pas difficile de soupçonner un double jeu dans ses propos. Au final, c’est un nouvel acte d’une pièce de mauvais goût dont il est l’acteur principal. En tout cas, il continue à réciter sa partition préférée. Sauf que, et contrairement aux premières années de la Révolution, tout ce qu’il entreprend est désavoué par la majorité écrasante des Tunisiens. Même auprès des personnes qui lui étaient proches et qui partageaient ses convictions. C’est bien le cas de Abdellatif  Mekki, l’un de ses principaux lieutenants du temps de la Troika, qui affirme qu’il n’est plus question de revenir aux institutions sous leur forme d’avant le 25-Juillet

Même son de cloche chez l’ancien ministre et dirigeant dissident d’Ennahdha, Imed Hammami, pour qui Ghannouchi cherche à semer la zizanie et le chaos par des déclarations «calculées et voulues». Pour lui, l’ancien président du Parlement gelé vit dans un déni total depuis le 25-juillet et refuse d’admettre qu’il n’a plus aucun avenir politique, tout comme le mouvement Ennahdha. «L’islam politique n’a plus de perspectives en Tunisie», reconnaît-il sans aucun regret.

Le président d’Ennahdha donne aujourd’hui l’impression de livrer sa dernière bataille. Sonnera peut-être ensuite, bon gré, mal gré, l’heure du passage de témoin. Des membres du parti prennent de plus en plus le temps de penser à l’après-Ghannouchi, convaincus que l’heure de la relève a bel et bien sonné et que l’actuel président est en train de détruire tout ce que le parti a construit au fil de longues années.

Ecarter, ou même évincer, Ghannouchi serait pour beaucoup de Nahdhouis une solution salutaire pour le parti. On continue à distinguer une tendance opposée aux convictions, et surtout aux prises de position de l’actuel président. Ce qu’on avait pris l’habitude d’apprécier et même de bénir dans le passé est aujourd’hui pratiquement révolu.

Evoquer la démarche de Ghannouchi en cette période très délicate de l’histoire de la Tunisie, c’est surtout parler d’un long parcours de défectios et de gâchis. De mensonges et de tromperies. Le passé comme le présent, ça résonne toujours comme des petits mots, désagréables et rocailleux à l’oreille. Il a beau essayer de faire bonne figure se faisant le devoir de paraître un dirigeant politique modéré, président d’un parti civil et très loin de ce qu’on lui  attribue. Mais une fois invité à prononcer un discours en guise d’oraison funèbre à l’un de ses amis décédé, il transgresse l’image qu’il voulait donner en dénombrant les qualités du défunt, le qualifiant d’un homme «qui n’a jamais eu peur des policiers, les taghouts», selon ses dires.

Une récupération politique malheureuse  pour le président d’Ennahdha. Finalement, Ghannouchi et l’euphémisme ne font… qu’un !

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